La question de la décentralisation en Haïti : Contexte historique et perspectives

                              

Thales FLEUR-AIME, Conseiller en Déconcentration et Décentralisation, OMRH

                                                        Et

 Wisner THOMAS, Directeur Cellule de Promotion de la Déconcentration, OMRH                   

 

La question de la décentralisation a toujours été problématique en Haïti. Pour plus d’un, il s’agit tout simplement d’un enjeu politique au plus haut niveau. En effet, le pouvoir central n’entend pas se décentraliser pour ne pas perdre de ses prérogatives. Conséquence, tout est concentré et centralisé à Port-au-Prince, la capitale, empêchant le démarrage du développement du pays indépendant, depuis 211 ans. La Constitution du 29 mars 1987 semble tracer la voie de la décentralisation. Mais, 28 ans après, où en est-on ? L’objectif de cet article est de retracer le contexte historique de la décentralisation en Haïti au regard de la Constitution du 29 mars 1987, tout en dégageant des perspectives.

 Le système politique haïtien a longtemps été caractérisé à la fois par l’autoritarisme et une forte centralisation des pouvoirs politiques à Port-au-Prince, la Capitale. De même, les pouvoirs administratifs et financiers ont aussi été concentrés à Port-au-Prince. Ce mode d’organisation de l’Etat a été  toutefois contesté à la chute des Duvalier, en 1986. A ce moment-là, émergeaient des protestations et des revendications populaires qui ébranlèrent tout le pays. Les provinces sollicitaient plus de participation à la gestion de la chose publique, et la population, quant à elle, implorait et revendiquait un État de droit et de démocratie ainsi que des changements au niveau de l’économie et de la société en général.

La Constitution du 29 mars 1987 a été considérée comme un gage d’espoir pour avoir jeté les bases sur lesquelles devait s’opérer un long processus devant conduire à la décentralisation du pays tout en restant un Etat unitaire. En effet, trois catégories de collectivités territoriales sont reconnues par la loi mère en son article 61. Ce sont, en plus de la commune déjà instituée par la constitution de 1843, la section communale  et le département.

Chacune de ces collectivités est dirigée par un Conseil et chaque Conseil est assisté d’une assemblée :

- Sont élus au suffrage direct, les Conseils des Sections Communales (CASECS) et les Conseils Municipaux (maires des communes);

- Le Conseil Départemental (CD) est élu par l'Assemblée Départementale et ;

- Le Conseil interdépartemental (CID) est formé d'un représentant de chacune des Assemblées départementales.

Chaque conseil est assisté d'une assemblée:

- les Assemblées des Sections Communales (ASEC), élues au suffrage direct ;

- les Assemblées Municipales (AM) sont mixtes (les délégués de ville (DV) sont élus au suffrage universel direct, en même temps que les maires mais, chaque section communale envoie aussi un représentant à l’assemblée) et ;

- Les Assemblées Départementales (AD) formées d’un représentant de chaque commune du Département.

Les Constituants du 29 mars 1987 ont fait marcher de pair la déconcentration administrative et la décentralisation. Ainsi, les articles 85 et 86 de la section E se rapportent à la  délégation à l’échelon départemental et aux vices délégations dans les arrondissements comme représentants de l’Administration centrale ; 61 à 87 traitent des collectivités territoriales, de leurs représentants, de la décentralisation et l’article 217 des finances locales.

Toutefois, 28 ans après l’entrée en vigueur de la Constitution, le pays n’est toujours pas parvenu à une décentralisation effective. La loi d'application n'ayant, en effet, toujours pas été votée pour que soient organisées les élections indirectes et aucun mécanisme ou structure d’encadrement n’a toujours été mis en place. L’unique expérience qui a eu lieu avec l’organisation des élections indirectes, en vue d’une décentralisation de l’Etat au vœu de la Constitution de 1987, remonte à l’année 1997 après l’arrivée au pouvoir du Président René Préval lors de son premier mandat. Mais, l’expérience a été, depuis, abandonnée, par manque de volonté politique et surtout en raison du fait que toutes les élections réalisées  par la suite, ont toutes été contestées au point de laisser tomber celles dites indirectes.

A l’heure de la dynamique de la réforme de l’administration de l’Etat engagée par le gouvernement haïtien depuis octobre 2012, pilotée par l’Office de Management et des Ressources Humaines (OMRH), une ébauche de politique nationale de déconcentration est élaborée en vue d’une meilleure desserte de services publics de proximité à la population.  Et, grâce à la franche collaboration du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales (MICT) et de l’apport considérable d’autres partenaires, une ébauche de stratégie nationale de décentralisation est en voie d’élaboration. Autant de signes avant-coureurs permettant de conclure que les conditions de réussite pour le lancement effectif du processus de décentralisation en Haïti, semblent être, plus que jamais, réunies.

Bibliographie 

1. Charles L. Cadet, « Haïti face aux défis de la décentralisation » (Rapport de diagnostic et cadre d’orientation stratégique en vue de la définition de politiques publiques). Port-au-Prince, décembre 2001.

2. Constitution du 29 mars 1987.

3. Décret du 17 mai 2005 portant organisation  de l’administration centrale de l’Etat, Le Moniteur spécial, no 8. Mardi 27 sept. 2005.

4. Décret électoral, Le Moniteur spécial, no1. 2 mars 2015.

5. Véronique Dorner (1998), « La Décentralisation en Haïti », Bulletin de l'APAD [En ligne], 15 | mis en ligne le 30 novembre 2006, Consulté le 07 mai 2015. URL : http://apad.revues.org/565